LE VIGNOBLE DU CAPITAINE DUVAL
3 mars 2023 Laisser un commentaire
« J’ai visité cette année le vignoble du capitaine Duval au Port-Saint-François. Dans un arpent, j’ai trouvé à peu près 6,000 livres de raisin. Si le mois de mai eut été plus doux, je suis convaincu que le raisin eut été encore plus pesant. Le capitaine Duval a encore en main une quantité de bougons prêts à transplanter. Allez faire une visite chez M. Duval et vous cultivateurs achetez ces bougons qui dans deux ans vous paieront au centuple. » Vers les années 1860, grâce à l’arrivée de cépages hybrides américains, mieux adaptés à notre climat, une trentaine de vignobles s’établissent dans le sud du Québec. Répartis sur une quarantaine d’hectares et promis à un brillant avenir, ils disparaissent néanmoins progressivement vers la fin du XIXe siècle.
En 1877, dans le village de Pointe-Claire à l’ouest de Montréal, John Henry Menzies inaugure un vignoble qu’il nomme Beaconsfield en l’honneur de son ami Benjamin Disraeli, comte de Beaconsfield et premier ministre d’Angleterre. Dans une volonté d’expansion, M. Menzies s’associe deux ans plus tard à F. Gallagher, un homme d’affaires de Rochester dans l’état de New-York. L’alliance s’avère éphémère et, suite à cet échec, M. Gallagher s’associe à un dénommé Gauthier pour former leur propre entreprise viticole. Les nouveaux associés choisissent de demeurer à Pointe-Claire et, malgré les protestations de M. Menzies, s’approprient à leur compte l’appellation « Vignoble de Beaconsfield ». L’entreprise remporte rapidement un vif succès : « On se rappelle combien de personnes au temps de l’exposition du mois de septembre dernier se sont arrêtées pour admirer les magnifiques produits des vignes exhibés par MM. Gallagher et Gauthier. Pas un exposant n’a joui d’une vogue supérieure à la leur. » Suite au succès de Beaconsfield, la culture de la vigne connaît un regain de popularité dans tout le pays. Les associés Gallagher et Gauthier suffissent à peine à répondre aux nombreuses commandes de pieds de ceps en provenance d’un peu partout à travers le Canada.
Vers 1880, au moment de mettre un terme à sa longue carrière de navigateur, le capitaine Duval se lance dans la culture de la vigne et se procure 1800 pieds de ceps auprès de Gallagher et Gauthier de Beaconsfield. Son vignoble ne tarde pas à donner d’excellents résultats : « Nous avons eu le plaisir de faire la visite d’un magnifique vignoble que le capitaine Duval possède au port Saint-François. Il n’y a que deux années qu’il en a fait l’acquisition et déjà il donne les meilleurs résultats. » Récolte si concluante que le capitaine Duval se permet même d’offrir au grand public : « Un certain nombre de jeunes plants d’un et de deux ans de la vigne Beaconsfield en très bonne condition. » À l’instar des associés Gallagher et Gauthier, M. Duval triomphe des pessimistes qui doutaient jusque-là de son succès. Cette réussite vient récompenser les sacrifices et investissements financiers nécessaires à une entreprise aussi risquée. Les journaux s’emballent et encouragent les cultivateurs à se lancer dans la culture prometteuse de la vigne qui, comme le prouve l’exemple du capitaine Duval, peut se révéler fort lucrative : « Nous renouvelons aux cultivateurs le conseil d’essayer dès cet automne cette culture. Le capitaine Duval retirera cette année (1882) au moins 8 000 livres de raisin. Les cultivateurs ne sauraient donner trop tôt leurs commandes pour les plants, car en s’adressant dès maintenant, ils peuvent être certains d’avoir pour 50 cents des plants de deux ans, ce qu’ils ne pourront pas se procurer à la fin de l’automne. »
Malgré ce succès et le bel enthousiasme qu’il suscite, la culture de la vigne décline au Québec jusqu’à disparaître presque entièrement à la fin du 19e siècle pour renaître plusieurs décennies plus tard. On ignore les causes exactes de ce déclin, de même que le nombre d’années que le capitaine Duval exploite son vignoble, dont plus rien ne subsiste aujourd’hui.
Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet
Références : Collection Mme Renaud Chapdelaine C008/A1/1. Le journal des Trois-Rivières : 3 mai 1880, 22 Août 1881, 10 septembre 1881. La Minerve 1er mai 1880. La Gazette de Sorel 21 juillet 1880.


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