BAIE-DU-FEBVRE À L’AVANT-GARDE DE L’INDUSTRALISATION DES PRODUITS LAITIERS

On identifie trois périodes distinctes parmi les coutumes de vie quotidiennes des habitants de la Nouvelle-France du début de la colonie jusqu’à l’orée du 20e siècle. Du 17e jusqu’au milieu du 18e siècle, la chasse, la pêche et la trappe demeurent les principaux moyens de subsistance des premiers colons. Plus tard, les terres défrichées se multipliant et la forêt reculant de plus en plus, on assiste à la naissance d’une paysannerie qui doit subvenir à ses besoins dans une quasi autarcie : « Chaque mère de famille fabriquait tout de ses mains, des souliers à la coiffure, de la toile unie aux étoffes et tapis. Nos aïeules connaissaient même les simples (plantes médicinales) et l’art de la teinture n’avait pas de secret pour elles. Le métier était monté en permanence dans la maison, pendant que l’établi du menuiser occupait tout le temps libre du père de famille. La maison de nos ancêtres était une véritable manufacture générale. » Dès le milieu du 19e siècle, la révolution industrielle entraîne un changement radical dans presque toutes les sphères d’activité professionnelles et modifie la technique de travail de plusieurs métiers traditionnels. Ce bouleversement n’épargne pas l’agriculture qui doit elle aussi s’adapter aux nouveaux moyens de production et de transformation de ses produits.

L’implantation d’une première fromagerie-beurrerie dans la baie de Missisquoi en 1865 fait exploser la demande en lait dans cette région et inspire d’autres entrepreneurs à imiter cet exemple. Baie-du-Febvre disposant de nombreuses fermes laitières sur son territoire, semble l’endroit tout désigné pour se lancer dans la transformation industrielle de produit laitier. En date du 4 juillet 1875, le notaire Louis Blondin de Baie-du-Febvre et son cousin Félix-Xavier Blondin, investissent 500$ pour l’achat de l’hôtel de Télesphore Vigneau qu’ils prévoient transformer en beurrerie. Après une première année d’exploitation déficitaire, les profits s’accumulent l’année suivante et ne cessent d’accroitre par la suite. Le succès des deux associés inspirent d’autres investisseurs. Onze fromageries et six beurreries voient alors le jour à la Baie-du-Febvre. On y retrouve la Lake View des cousins Blondin, la Blue Star de Nestor Duguay, la Beaver des associés Arel et Girard ou la Daisy fondée par Moïse-Charles Lemire. Le fromage qu’on y fabrique est essentiellement de type Cheddar fort apprécié des Anglais et dont la majeure partie de la production est destinée à l’exportation: « Les noms des commerces étaient toujours de consonnance anglaise parce que la clientèle était d’Angleterre. » Le produit est acheminé par barge à partir de Notre-Dame-de-Pierreville ou du Port-Saint-François et transféré par la suite sur un navire en direction de Boston et l’Angleterre.

Les chiffres suivants offrent un aperçu de la vitesse avec laquelle la production de fromage progresse à Baie-du-Febvre: en 1875 celle-ci est de 11 000 livres, tandis qu’en 1878 elle atteint 108 000 livres. Cette progression stupéfiante incite les entrepreneurs à s’unir pour former un syndicat leur permettant d’établir un prix de base général pour leurs produits : « Les hauts prix obtenus par le syndicat engagèrent diverses fabriques étrangères à se placer sous son égide. » Car, au-delà de l’exportation vers l’Angleterre, les produits laitiers de Baie-du-Febvre jouissent d’une excellente réputation : « Le fromage le Bleu Star a obtenu le deuxième prix à l’exposition provinciale de Montréal. » Les annonces se multiplient dans les divers journaux afin de promouvoir les produits issus des fabriques de la Baie-du-Febvre et convaincre d’autres producteurs d’adhérer à leur système de distribution dont l’efficacité a déjà fait ses preuves sur les deux rives du fleuve. Les fromageries-beurreries pullulent un peu partout dans la région du lac Saint-Pierre jusqu’au milieu du vingtième siècle où elles déclinent lentement suite à la concentration de la production en usine.

Texte : Serge Rousseau pour le CAR-Séminaire de Nicolet

Références : Collection Mme Renaud Chapedelaine C008/A1/1. Trois siècles sont appris, Baie-du-Febvre 1683-1983, Rosaire Lemay, éditions du Bien Public 1983. Histoire de la Baie-Saint-Antoine, J.E. Bellemare 1923. L’Union des Cantons de l’Est 15 décembre 1883. Le Constitutionnel 15 décembre 1883. Le Sorelois 19 avril 1893.

Fromagerie vers 1950- Photo Jacques F310-A1-1.52
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