E DAUPHIN LOUIS XVII À L’ÎLE DUPAS : ENTRE LÉGENDE ET RÉALITÉ

Qu’ont en commun Jean-Louis Bourbon, prétendu fils naturel de Louis XV et le duc de Caulaincourt, général d’armée et homme de confiance de Napoléon premier? Selon d’anciennes rumeurs, ces deux personnages se seraient réfugiés au Centre du Québec suite à de sérieux déboires politiques dans leur pays: soit à Bécancour pour le Bourbon et à Baie-du-Febvre pour le duc de Caulaincourt. Quoique ne reposant sur aucune preuve historique rigoureuse, ce genre de fable régionale, impliquant des personnages importants de l’histoire, suscite à l’époque un vif intérêt populaire. Or, voilà qu’un document retrouvé parmi les archives du CAR nous permet d’ajouter le nom de Louis XVII, fils du roi de France guillotiné en 1793, à cette étrange nomenclature. D’après ce document, l’île Dupas, dans l’archipel du lac Saint-Pierre, aurait servi de refuge toute sa vie durant au dernier dauphin de France.

Selon la version colligée par Sylvio Laporte, curé de la paroisse de La Visitation de l’île Dupas de 1951 à 1960, le 6 janvier 1875, Louis Latour, nonagénaire vivant isolé, accepte l’invitation d’aller célébrer la fête des Rois chez l’un de ses voisins. Bénéficiaire de la fameuse fève, on proclame l’invité roi de la soirée. Une vive émotion inonde alors de larmes les joues ravinées du vieillard qui, malgré son aspect campagnard, conserve une allure royale et solennelle lorsqu’il dit : « « Quand j’étais tout jeune enfant, je me rappelle avoir vu un autre Louis qui portait une belle couronne; mais c’est bien vague dans mes idées… » À l’époque, personne ne prête réellement attention à ces propos. Puis, à l’orée du 20e siècle, apparait soudain à l’île Dupas un historien français prétendument spécialiste de la royauté de son pays. Celui-ci affirme que, peu après l’exécution de Louis XVI, le dauphin, alors âgé de 8 ans, fut enlevé par de fervents monarchistes qui le dissimulèrent à bord d’un navire en partance pour la Nouvelle-France : « On l’avait confié à des cultivateurs qui allaient s’établir dans la région de Berthier. Son prénom était Louis. On avait ajouté comme nom de famille Latour… De consonnance plus royale. » Il n’en faut pas plus pour raviver certains souvenirs parmi les anciens de la paroisse. Ceux-ci affirment se rappeler d’un personnage à l’allure à la fois princière et royale qui, lors de fréquentes causeries au magasin général, parlait régulièrement de rois, de châteaux et divers sujets relatifs à la royauté : « Ainsi, si vous allez sur la tombe de Louis Latour, vous pourrez bien penser que cet humble personnage des îles de Berthier aurait pu, selon un autre hasard, être couronné roi de France. »

Durant deux cent ans, le destin de Louis XVII fait l’objet d’un nombre incalculable de théories complotistes propagées autant par les royalistes que par les républicains. Celle d’un enlèvement durant lequel on aurait remplacé le dauphin par un autre enfant d’âge et d’apparence similaires demeure la plus répandue. En réalité, le garçon souffrant déjà de tuberculose, a été enlevé à sa mère le 3 juillet 1793 et placé chez un dénommé Simon, cordonnier de son état. En janvier 1794, on l’enferme à la prison du Temple dans des conditions exécrables. Malgré un certain adoucissement de ses conditions de captivité après la mort de Robespierre, sa santé continue de se dégrader: « Les traitements inhumains qui lui ont été précédemment infligés ont irrémédiablement brisé, physiquement et moralement le pauvre prisonnier. » Les deux médecins appelés à son chevet s’avèrent impuissants à le sauver et l’enfant décède le 8 juin 1795. Le docteur Pelletan qui procède à l’autopsie profite d’un moment d’inattention pour soustraire le cœur du cadavre et le dissimuler. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, à la mort du dauphin la rumeur de son évasion se répand comme une traînée de poudre. Dès lors, des usurpateurs vont se multiplier jusqu’à dépasser la centaine. Ils proviennent de Prusse, de Monaco, de Hollande et même d’Amérique. Le 15 décembre 1999, on procède à des prélèvements ADN sur la relique du cœur présumé de Louis XVII. Les résultats se révèlent concluants : « La séquence d’ADN retrouvée dans le cœur est la même que celle de Marie-Antoinette et de la famille de Marie-Thérèse, il n’y en a pas de semblable parmi plus de 140 000 échantillons. Le cœur appartient donc à un enfant apparenté à Marie-Antoinette. » Cela met fin aux spéculations. Après plus de deux cent ans d’un destin chaotique, marqué par de nombreuses disparitions, reconnaissances et reniements, ce petit cœur rejoindra donc la dépouille de ses malheureux parents à la basilique royale de Saint-Denis, nécropole millénaire des rois de France.

Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet

Références : F003/N20/8, F003/N20/9.

Louis XVII-F004-H16-17-17-20.