CRÉATION DU DIOCÈSE DE NICOLET (2) : DÉBUT DE LA VÉRITABLE BATAILLE

« Je supplie d’obtenir la permission et l’autorisation de vendre et d’aliéner les bâtiments, dépendances et autres propriétés du séminaire de Nicolet, dont le prix sera employé à acheter les fonds et à reconstruire les édifices nécessaires à l’institution de la ville épiscopale. » Ainsi se conclue le mémoire adressé par Mgr Laflèche à la Propagande de Rome en 1870 au sujet du déménagement éventuel du séminaire de Nicolet. Alerté par les autorités romaines qui demandent un contre-mémoire, la corporation du Séminaire de Nicolet décrète la mobilisation générale et organise sa défense. Prenant la plume au nom du clergé de la rive-sud, le curé de Saint-Célestin, l’abbé Calixte Marquis, adresse à Rome un mémoire préconisant le maintien du séminaire à Nicolet. « L’indignation du clergé est bien profonde à mesure qu’il connaît la conduite de l’évêque à notre égard ». La rumeur commence à se répandre que, si l’évêque n’abandonne pas son projet, les prêtres du sud demanderont à se séparer de Trois-Rivières pour former leur propre diocèse, dont Nicolet serait le siège épiscopal. « Voilà qui ne serait pas bête! Ce serait peut-être le meilleur calmant pour sa Grandeur » écrit le relationniste du séminaire Robert Walsh à Thomas Caron qui accompagne Mgr Laflèche à Rome. L’idée chemine rapidement et soulève l’enthousiasme auprès du clergé de la rive-sud. Une fondation voit le jour sous les auspices de l’abbé Louis-Théophile Fortier, alors que le doyen des prêtres de la rive-sud, le curé Malo de Bécancour, se dit prêt à défrayer le coût du voyage à celui qui irait porter la pétition à Rome. Calixte Marquis, tant qu’à lui, en fait quasiment une affaire personnelle.

Ce simple prêtre, à l’instar du curé Labelle, se révèle un personnage plus grand que nature en cette époque de colonisation. Né en 1821, il fait ses études au séminaire de Québec, sa ville natale. Nommé vicaire de Saint-Grégoire en 1845, il se dévoue avec zèle pour sa paroisse. Dès 1849, il s’affaire à jeter les bases d’une communauté de religieuses enseignantes, les Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge. Le curé Marquis manifeste aussi un vif intérêt pour la colonisation de la rive-sud et des Cantons alors qu’il occupe la fonction de vicaire à Saint-Grégoire. Son intention consiste à faire du clergé l’instrument de la colonisation. Cet intérêt se précise encore plus quand il devient curé de Saint-Célestin en 1852, alors qu’il se voit confié la responsabilité des fidèles du canton d’Aston en plein développement. Malgré une santé fragile, il parvient à desservir jusqu’à huit missions à la fois et contribue à la fondation de 12 paroisses : « Au besoin, il se fait notaire, médecin, maître de poste, juge de paix, etc. » Il intervient de façon régulière dans les questions municipales et scolaires, et il ne craint pas d’appuyer ouvertement certaines idées libérales.

Entre ce personnage, à l’idéologie plutôt libérale, et Mgr Laflèche, qui ne répugne pas à se qualifier lui-même d’ultramontain, la confrontation au sujet de la création du diocèse de Nicolet s’annonce féroce. Il ne faut pas confondre le libéralisme du 19e siècle avec le parti politique issu du même nom. L’ultramontanisme désigne alors une tendance au sein de l’Église catholique qui privilégie la primauté spirituelle et juridictionnelle du pape sur le pouvoir politique. Dans cette optique, les électeurs catholiques sont invités à voter uniquement pour les candidats qui s’engagent publiquement à défendre les droits de l’Église et la morale catholique. Toutefois, cette position est considérée comme une provocation inopportune et dangereuse parmi plusieurs personnes proches des sphères politiques. On craint que cette ferveur ultramontaine ne suscite une réaction antipapiste parmi la majorité protestante. Ils tiennent à rappeler aux membres du clergé que l’Église n’est que tolérée dans cette colonie britannique. Les institutions religieuses et les congrégations dépendantes de cette volonté peuvent être supprimées du jour au lendemain. Les libéraux soutiennent donc que la survie de l’Église, dans les conditions concrètes de la vie politique canadienne, impose une séparation entre la religion et l’état. Certes, la religion doit être protégée par les lois, mais le clergé n’a pas à se mêler de politique tant que la morale ou la liberté de l’Église ne sont pas directement compromises.

Suite au contre-mémoire rédigé par les autorités de l’institution de Nicolet, la Propagande se prononce finalement, en 1873, contre le déménagement du séminaire. À Nicolet, où la trahison de Mgr Laflèche est toujours bien présente dans les mémoires, on demeure méfiant. Déjà, en 1872, la décision de construire un nouvel édifice pour le collège de Trois-Rivières est perçue à Nicolet comme une menace réelle à plus ou moins long terme envers leur institution : « Mais, il y a beaucoup plus, le refus d’accorder les prêtres demandés pour compléter le personnel, l’érection canonique du collège de Trois-Rivières en séminaire le 19 mars 1874, ou encore le retranchement de l’allocation versée annuellement par le gouvernement, transférée au séminaire Saint-Joseph… » Cet acharnement de la part de l’évêque de Trois-Rivières contraint les autorités du séminaire de Nicolet et la majorité des prêtres de la rive-sud à s’unir pour former un front commun. La longue bataille pour la création du diocèse de Nicolet, qui s’échelonnera sur toute une décennie, soit de 1875 à 1885, débute réellement…. (à suivre)

Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet

Références : Fonds Albertus Martin F277/M176/2

Calixte Marquis – F401-A9-7

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