HISTOIRES D’EAUX À NICOLET: RÉCIT DE DEUX DÉBÂCLES

Tout au long de son histoire, la ville de Nicolet doit composer avec les débordements printaniers de sa rivière et la hausse du niveau du fleuve Saint-Laurent qui baigne ses rives. Certaines de ces inondations, parmi les plus spectaculaires, continuent d’imprégner la mémoire des Nicolétains; autant par l’étendue des dégâts matériels que la gravité des drames humains subits lors de ces catastrophes. En 1924, la débâcle à Nicolet atteint une telle ampleur qu’elle attire l’attention des journaux nationaux. Dimanche le 23 mars, à neuf heures du matin, les glaces se brisent soudain avec fracas contre les piliers du viaduc du chemin de fer pour aller s’amonceler un peu plus loin, sous le pont des voitures. Un énorme embâcle se forme en quelques minutes. Le courant se fraie un passage de chaque côté du barrage de glaces et l’eau se répand rapidement sur les rives, surprenant ainsi les habitants du bas de la ville qui doivent évacuer leur domicile de toute urgence. Le débit de la rivière se stabilise soudain. C’est alors qu’à la surface des monceaux des glaces: « D’énormes quantités de bois furent remarqués. La chose sembla être une bonne aubaine pour bon nombre de citoyens qui, à l’issue de la grand’messe, se hasardèrent sur la glace dans le but de s’en faire de bonnes provisions à l’aide de câbles, gaffes etc. » Pendant près de deux heures, une quarantaine de téméraires n’hésitent pas à s’éloigner jusqu’à trois cent pieds de la grève pour recueillir le précieux combustible qu’ils entassent sur le rivage. « Tout à coup des craquements sinistres se firent entendre. La glace venait de se mettre de nouveau en marche à une allure rapide, sous les pieds même de cette petite armée de travailleurs, dont plusieurs d’entre eux virent la glace se rompre sous leurs pieds. » Sans perdre leur sang-froid, sous le regard anxieux des badauds les observant de la rive, les intrépides cueilleurs n’hésitent pas à bondir d’un morceau de glace à la dérive à l’autre et parviennent tant bien que mal à atteindre le rivage, une centaine de pieds plus bas. Tout le monde est sauf, mais les dégâts matériels demeurent importants.

Au printemps 1976, Nicolet subit une des plus terribles débâcles de son histoire. Le samedi 25 mars, la rivière sort subitement de son lit. Au moins six personnes se trouvent piégées par les glaces, alors qu’une quinzaine d’autres se réfugient au second étage de leur demeure pour échapper à la noyade. Dans le secteur du Port-Saint-François et du lac Saint-Pierre on rapporte environ 100 maisons touchées par l’inondation et 25 familles sont évacuées. La route les 60 entre le Port-Saint-François et le pont Laviolette, ainsi que la 132 entre Nicolet et Baie-du-Febvre, sont fermées à la circulation. L’usine Placage de Nicolet-Sud subit des dommages s’élevant approximativement à 300 000$. L’inondation n’épargne pas non plus le système de filtration de l’aqueduc et la population doit faire bouillir l’eau pendant au moins une semaine. Les piliers du pont enjambant la rivière sont fragilisés et la circulation interdite durant 24 heures. Lui-même témoin du sauvetage en catastrophe de six personnes coincées par les glaces, le journaliste Louis Caron s’interroge, dans un éditorial daté du 6 avril 1976, sur la capacité d’intervention des mesures d’urgence municipales ou provinciales dans ce genre de situation: « Je me trouvais à cet endroit par hasard au moment précis où la roulotte, le chalet et quelques autres petits bâtiments ont été emportés par l’eau et la glace. J’ai bien vu René Proulx tenter de rester à flot dans sa chaloupe et disparaître de notre vue en face de l’hôpital. Puis, on a vu des gens faire des signaux à la fenêtre de la roulotte. Enfin, on a entendu des appels et on a su qu’il y avait des gens dans l’arbre, près de la rivière. » La dizaine de policiers municipaux et provinciaux arrivés sur les lieux semblent dépassés par les évènements. Ils appellent des renforts et s’activent à diriger la circulation, n’offrant aucun secours immédiat aux pauvres personnes visiblement en danger de mort. Finalement: « Une demi-heure plus tard, les six victimes de l’inondation avaient été sauvées grâce à la détermination de jeunes nicolétains qui, désobéissant aux ordres des policiers, étaient allé rescaper les victimes en chaloupe. »

Depuis l’avènement de l’aéroglisseur de la garde côtière qui, chaque année, s’active à l’embouchure des rivières pour empêcher la formation d’embâcles, les résidents des agglomérations riveraines, sans être tout à fait à l’abri, sont désormais mieux protégés contre les crues printanières.

Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet

Références : Collection Mme Renaud Chapdelaine C008/A1/2. Le Courrier Sud 6 avril 1976.

débâcle en 1932, J.-D. Richard, F085-P10945
Débâcle 1976, photos de Gérard Salvas, 005
Débâcle 1976, photos de Gérard Salvas, 002

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