JACQUES PAQUIN : D’ODANAK À LA BATAILLE DE SAINT-EUSTACHE

« Ce n’est pas qu’il ait fait de très grandes choses, ni qu’il ait fait grandement les choses qu’il a faites. Il était éloquent, conscient de ses succès oratoires. Il pratiqua l’histoire, mais ne fût pas facile à convaincre de sa médiocrité dans ce domaine. Il reste qu’il était pittoresque, voir un peu excentrique. Il subsiste assez de documents pour nous permettre de reconstituer sa physionomie et de nous égayer un peu à ses frais. » Ainsi s’exprime Thomas-Marie Charland en guise d’introduction à son étude intitulée : Un curé de 37, l’abbé Jacques Paquin, présentée devant la Société d’Histoire Régionale de Nicolet, en 1935. Né à Deschambault en 1791, Jacques Paquin étudie à Québec puis entre au séminaire de Nicolet en 1808, grâce à son oncle, Jean-Baptiste, qui en est le directeur. Faisant preuve d’initiative durant sa formation théologique, Mgr Plessis l’envoie en renfort à Odanak en lui donnant pour consigne d’apprendre la langue abénaquise et seconder l’abbé Ciquart dans son ministère. L’austérité de l’abbé Ciquart, confrontée au caractère acariâtre de son subordonné, ne facilitent pas la cohabitation entre les deux ecclésiastiques. Entre temps, Jacques Paquin accède à la prêtrise, en 1814. On le nomme vicaire à Varennes, fonction qu’il occupe durant un an, avant de se voir attribuer la cure de l’abbé Ciquart à Saint-François-du-Lac et de la mission d’Odanak, en 1815. S’il consacre beaucoup d’énergie au ministère de sa nouvelle paroisse de Saint-François, il néglige par contre ses obligations envers les Abénakis. Ces derniers se plaignent régulièrement de ses nombreuses absences de la mission. Ils l’accusent aussi de violence verbale, s’exprimant sans nuance ni raffinement lorsqu’il s’adresse à eux. Dans une lettre au curé Deguise de Varennes, l’abbé Paquin confie: « Son dégoût, son ennui et même son désir de quitter cette mission. » Instruit de ces propos, Mgr Plessis lui réplique en ces termes: « Les habitants de Saint-François mériteraient d’avoir un pasteur qui ne fût que pour eux. Je fus sur le point de leur en donner un, l’année dernière, mais ce n’aurait pas été vous, car, encore une fois, c’est pour les Abénakis que vous avez été fait prêtre. » Dès 1817, il demande à être déchargé de cette cure, espérant se voir attribuer une petite paroisse bien paisible sur les rives du fleuve, près de ses amis et confrères. Pourtant, le scénario de ses pires appréhensions se concrétise, lorsqu’en 1821, Mgr Plessis lui confie la cure de la paroisse de Saint-Eustache : « Je ne me sens pas capable de desservir seul une si forte paroisse, ni de lutter contre une foule d’impies » confie-t-il en évoquant l’esprit libéral de ses futurs paroissiens auxquels il ne désire pas se confronter.

Dès son arrivée à Saint-Eustache, l’abbé Paquin s’insurge contre le syndic scolaire composé de laïques et de libéraux de sa paroisse. Il craint de la part de ces derniers une mainmise du système d’éducation dans le but de promouvoir le sentiment nationaliste. Ce à quoi il s’oppose farouchement. Préoccupé de maintenir l’ordre, il refuse de se lier à un mouvement qui préconise la souveraineté du peuple, voir même à un renversement éventuel du gouvernement. Dès 1830, il fustige les rassemblements patriotiques de sa paroisse, qu’il juge trop turbulents. À la suite des élections de 1834, au cours desquelles le Parti Patriote remporte 71 sièges, il refuse catégoriquement de chanter une messe d’action de grâces pour célébrer cette victoire. Pendant les événements de 1837, il adopte une attitude encore plus ferme à l’égard du mouvement patriotique. L’abbé Paquin ne craint pas de lire en chaire le mandement de Mgr Lartigue, évêque de Montréal, daté du 24 octobre 1837 qui condamne l’action des patriotes en se basant sur la doctrine du pouvoir divin des autorités civiles légitimes. Craignant des représailles de la part des patriotes de sa paroisse, il se réfugie à l’extérieur du village, la veille de la bataille du 14 décembre 1837.

L’abbé Paquin, qui se prétend historien, rédige, après les événements de 37, deux ouvrages qui ne rencontrent pas la ferveur escomptée : « Journal historique des événements arrivés à Saint-Eustache » et « Mémoires de l’Église au Canada ». Dans son historique des événements qui ont ravagés le village de Saint-Eustache, publié en 1838, il s’efforce de démontrer que très peu de ses paroissiens ont participé à la rébellion et que la plupart des chefs rebelles n’habitaient pas la paroisse : « Les habitants de Saint-Eustache ne sont pas aussi coupables qu’on a pu généralement le supposer et que l’esprit de rébellion est loin d’être aussi fortement enraciné dans le cœur des Canadiens. Ces faits offrent aussi des preuves gratifiantes de la conduite noble et généreuse de Sir John Colborne et des soins bienfaisants pour établir la paix. » Parallèlement à la rédaction de ses mémoires, l’abbé Paquin déploie d’énormes efforts pour reconstruire son village lourdement endommagé au cours de la bataille du 14 décembre. Cela explique peut-être pourquoi, en 1885, les paroissiens de Saint-Eustache préfèrent lui dresser un monument, plutôt qu’au Dr Chénier, célèbre patriote décédé au cours de la bataille. Toutefois, une ritournelle, sous forme de pamphlet, composée suite aux événements rappelle la vive opposition de l’abbé Paquin envers les patriotes, lors des troubles de 1837 : « Venez chanter bons canadiens la défaite de nos Chouangiens (patriotes), ce gros ventru, joufflu, bouffi, poussé par le mauvais esprit, craignant pour sa dîme et sa clique, n’ayant pas d’autre poli, trompait ses pauvres habitants qu’il voulait vendre à ses tyrans. » L’abbé Paquin décède le 7 décembre 1847, presque dix ans jour pour jour après la défaite patriotique de Saint-Eustache.

Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet

Références : Fonds Société d’histoire Régionale de Nicolet F238/E12/25. Fonds Louis-Édouard Bois F03/P22/7. Histoire de Saint-François-du-Lac, Thomas-M Charland.

Jacques Paquin, prêtre – F085-P3193
L’église de Saint-Eustache, avant 1900 – coupure de presse – C079-G6-166-1165
Missionnaires des Abénakis à Odanak, vers 1980, F085-P13249

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