PRÉDOMINANCE DE LA JUSTICE BRITANNIQUE APRÈS LA CONQUÊTE

Suite au traité de Paris de 1763, qui concède le Canada à l’Angleterre, les lois anglaises, civiles et criminelles, prédominent désormais au pays. On applique, dans un premier temps, l’imposition du serment du Test qui empêche les catholiques d’accéder aux emplois réservés au domaine public, selon le procédé d’assimilation britannique habituel. Cependant, la géopolitique Nord-Américaine diffère de celle de l’Europe et nécessite une approche différente. Dès 1774, alors que les colonies américaines commencent à s’insurger, le droit civil français et la perception de la dîme sont rétablis dans la province de Québec. Cette nouvelle concession a pour conséquence de rallier les seigneurs et le clergé au nouveau régime. D’autant plus que la France n’a jamais tenté aucune négociation, ni profité de l’occasion offerte par la révolution américaine, pour récupérer le Canada. La cession de la Louisiane aux Américains par Napoléon 1er, en 1803, scelle définitivement le sort de l’empire français en Amérique. Abandon douloureusement ressenti par les Canadiens-Français qui doivent désormais composer avec les autorités et les lois britanniques.

Or : « La communauté conquise est catholique et le clergé est une des rares élites qui lui reste après le départ des marchands français. » Conscient que l’Église puisse agir en tant que modérateur auprès de ses ouailles, en signant l’acte de Québec de 1774, le conquérant accorde aux catholiques la liberté de pratiquer leur culte. Le système britannique donne aussi accès aux Canadiens à une certaine forme de démocratie parlementaire, de même qu’à un droit criminel plus favorable à l’accusé. Toutefois, la transition entre les deux systèmes de justice ne s’effectue pas sans heurt, comme l’indique une cause intentée contre les « Sieurs curés et marguillés de la paroisse de Québec » par un dénommé Paul Thibodeau, en juillet 1823. Les frais funéraires lors de l’inhumation, le 28 avril 1820, de Marie-Geneviève McGregor, font l’objet de ce litige. Le plaignant considère exagérés les frais exigés lors de ces funérailles, dont la facture se détaille comme suit: « 100 livres pour la sonnerie de deux grosses cloches, 050 pour la marche, 076 pour la Fabrique, 0610 pour 6 clercs et 026 pour le bedeau, pour un total de 294 livres. » Le plaideur certifie, pour sa part, avoir réclamé un enterrement comprenant un service religieux assisté de 15 clercs et une levée du corps à la Chapelle de la Congrégation. Les preuves déposées devant la cour confirment que : « Mr le curé n’avait voulu ni faire la levée du corps à l’endroit demandé, ni chanter le service, ni fournir le nombre de clercs requis. » Les Intimés dans cette affaire proclament que le tarif réclamé a été établi par l’évêque et les marguilliers de Québec, le 9 avril 1818 et qu’ils ne peuvent y déroger. Ils confessent, cependant, que cette majoration n’a pas été préalablement soumise aux autorités législatives, le clergé se croyant dispensé de cette obligation. Ils appuient leur défense en affirmant que ce tarif était demeuré inchangé depuis 1742. Qu’en maintenant les Ecclésiastiques de l’Église romaine dans la jouissance de leurs droits séculaires, les autorités britanniques confirment par le fait même la légitimité de ces derniers à établir leur propre tarif.

La cour réfute toutefois ces allégations : « Le tarif prétendu est nul, faute d’homologation de la part des juges royaux, celui de 1742 n’est aucunement prouvé, il n’y a aucune preuve qu’il fut suivi, il est considéré nul comme celui de 1818 et pour les mêmes raisons. » Selon le droit britannique en vigueur, la Fabrique Notre-Dame de Québec se rend coupable d’extorsion en imposant ainsi de nouvelles « taxes » aux sujets du roi d’Angleterre. En désespérance de cause, les intimidés reprochent au plaignant de ne pas avoir procédé par appel d’offre. Argument réfuté à nouveau par la cour qui précise qu’on ne négocie pas des obsèques comme s’il s’agissait d’une transaction commerciale : « Les droits des Fabriques ne sont pas du ressort des individus, il ne leur appartient pas de les fixer. Si la Fabrique n’eut pas insisté sur le tarif de 1818, ce procès n’aurait pas eu lieu. » Suite au jugement rendu en sa faveur, le plaignant doit néanmoins rembourser les frais de cour. Quoique ceux-ci s’avèrent relativement modestes, M. Thibodeau conteste la validité de ce remboursement devant la cour d’appel, qui finit par lui donner raison : « Parce que la loi est la seule règle de conduite à laquelle il aime à obéir et que cette loi est sous la sauvegarde de cette Honorable cour » Jugement ratifié par la Cour d’Appel, le 18 juillet 1823.

Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet

Références : Fonds Louis-Édouard Bois, F003/P22/9

Paul Thibeaudeau vs le curé et marguilliers de la paroisse de Québec, 1823, F003-P22-9-48.

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